Cette partie est la suite de l’Article: Droit privé : LES SOURCES DU DROIT( 1). Elle est consacrée à l’étude des sources modernes du droit qui sont constituées par les dispositions qui émanent du pouvoir législatif (lois stricto sensu) et les dispositions prises par le pouvoir exécutif (les règlements). Avant d’envisager l’étude de ces dispositions, il faut présenter sommairement la distinction du droit international et les sources du droit national.
l’étude des sources modernes du droit
Sources du droit international :
Il faut distinguer les sources formelles, les moyens auxiliaires de la détermination des règles de droit et autres sources du droit international.
Sources formelles :
Traités : la convention de vienne du 23 mai 1969 définit le traité comme étant un accord international conclu par écrit entre Etats et régi par le droit international. De plus en cas de conflit entre la législation international et interne, la supériorité du droit international sur la loi interne est reconnu unanimement par de nombreux pays. En droit marocain, le code de nationalité marocaine du 6 septembre 1958 affirme la supériorité du traité sur la loi interne.
Coutume internationale : Règle de droit non écrite qui se forme spontanément et progressivement.
Principes généraux de droit : Ce sont ceux reconnus par les nations civilisées. Ils sont de deux sortes :
– Les principes communs aux ordres juridiques internationaux (cas du respect des droits de la défense, caractère obligatoire des engagements).
– Les principes généraux propres au droit international (respect de l’indépendance et de la souveraineté de l’Etat, bonne foi dans les relations internationales).
L’équité : permet à des Etats souverains de reconnaître au juge ou à l’arbitre un pouvoir exorbitant, celui de statuer selon l’équité.
Moyens auxiliaires de détermination des règles de droit :
Jurisprudence : Il s’agit des solutions dégagées par les juridiction internationales avec leur tête les décisions de la cour international de justice dont les arrêts bénéficient d’une grande autorité. Il s’agira aussi des décisions arbitrales et des jurisprudences nationales.
Doctrine : Les opinions doctrinales exercent une influence certaine sur la formation et l’évolution du droit des gens. Cette contribution se manifeste aussi bien au stade de la création des règles de droit qu’au niveau de leur interprétation et de leur mise en oeuvre par les juridictions internationales.
Autres sources du droit international :
Normes impératives :
La convention de vienne définit la norme impérative (visent à protéger l’humanité contre des fléaux tels que traite des esclaves, génocide) comme « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble, en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ».
Ce texte sanctionne par la nullité le traité conclu en violation d’une norme impérative du droit international général.
Actes unilatéraux des Etats et organisations internationales :
Il faut distinguer :
Les actes unilatéraux des Etat : un Etat peut prendre des engagements produisant effet dans le cadre du droit international. (Discours du ministre des affaires étrangères, conférence de presse d’un chef d’Etat).
Les actes unilatéraux des Etats et organisations internationales : Il n’existe pas de législateur international habilité à édicter des règles juridiques générales s’imposant aux Etats. Mais les recommandations, résolutions participent à la formation des règles de droit international.
Sources du droit national :
Il s’agit d’examiner les rapports de la loi et du règlement sous l’empire des différentes constitutions marocaines (section I) avant d’aborder des questions plus générales et relatives à la force obligatoire de la loi (section II), au domaine d’application de la loi dans le temps (section III) et enfin aux méthodes d’interprétation de la loi (section IV).
I – La loi et le règlement
Le régime marocain est défini comme un régime de monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale. La souveraineté appartient donc à la nation qui l’exerce directement par voie de referendum et indirectement par l’intermédiaire des institutions constitutionnelles. Cette dernière expression se réfère au parlement.
De même, est affirmé le principe de séparation des pouvoirs législatifs et exécutif. Le pouvoir législatif est attribué au parlement, le pouvoir réglementaire est dévolu au gouvernement. L’ensemble de ces principes ont étés formellement affirmée par les constitutions du 9 octobre 1992 et 7 octobre 1996.
A – Distinction de la loi et règlement en période normale
1 – Les organes compétents :
De qui émane la loi ? La loi est l’oeuvre du pouvoir législatif : la loi est votée par le parlement (art 45 de la constitution de 1996). Ce principe n’est pas absolu, car il subit un certain nombre d’exceptions. En effet dans deux cas, c’est le pouvoir législatif lui-même qui peut déléguer au pouvoir exécutif le droit de légiférer.
La première hypothèse, prévue par l’article 45, apparaît comme une délégation volontaire de pouvoir. En vertu de cette disposition, le parlement peut autoriser le gouvernement pendant un délai limité et en vue d’un objectif déterminé, à prendre par décret des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Ces décrets entrent en vigueur dés leur publication mais ils restent soumis au contrôle du parlement qui sera nécessairement appelé à les ratifier à l’expiration du délai fixé par la loi d’habilitation (ex : loi autorisant le transfert d’entreprises publiques au privé : cette loi a habilité le gouvernement dans un délai de 6 mois à compter de sa publication au bulletin officiel, à prendre par décrets des mesures législatives telles que les modalités juridiques et financières des transferts et le régime fiscal qui leur est applicable).
La deuxième hypothèse où la loi émane d’un autre organe que le parlement résulte de l’article 55 de la constitution : c’est une délégation du droit de légiférer mais c’est une délégation qui joue de plein droit, de façon automatique. Ainsi dans l’intervalle des sessions, le gouvernement peut de lui-même et sans l’autorisation du parlement, prendre des décrets lois. Toutefois, ici aussi les décrets lois ne peuvent être pris qu’avec l’accord des commissions parlementaires intéressées et doivent être soumis à la ratification du parlement au cours de la session ordinaire qui suit.
Il existe un troisième cas où la loi peut être adoptée par un autre organe que le parlement. C’est le cas où la loi émane directement du peuple à la suite du référendum. En effet si le monarque peut toujours soumettre au referendum tout projet ou proposition de loi, il perd cette faculté lorsque le texte aurait été adopté ou rejeté à la majorité des deux tiers des membres composant la chambre des représentants.
Quatrième hypothèse : l’article 27 de la constitution de 96 prévoit que « le roi peut dissoudre les deux chambres du parlement ou l’une d’elle seulement ». Après cette dissolution, l’élection du nouveau parlement ou de la nouvelle chambre doit intervenir au plus tard dans les 3 mois qui suivent. Durant cette période, l’article 72 alinéa 2 permet au roi d’exercer pour pallier le vide « outre les pouvoirs qui lui sont reconnus par la présente constitution, ceux dévolus au parlement en matière législative ».
La constitution de 1996 au terme de l’article 107 a prévue que « jusqu’à l’élection des chambres du parlement prévues par la présente constitution, la chambre des représentants actuellement en fonction, continuera d’exercer ses attributions notamment pour voter les lois nécessaires à la mise en place des nouvelles chambres du parlement sans préjudice de l’article 27 ». C’est ce qui s’est d’ailleurs produit durant le mois d’octobre 1997 : maintien du parlement bien que l’élection de la future chambre représentants ait été annoncée pour le 14 novembre qui suit.
De même le roi peut être conduit à prendre en main l’exercice du pouvoir législatif lorsque le mandat du parlement arrive normalement à expiration. Si les circonstances politiques ne permettent pas de procéder à temps à l’élection des deux nouvelles chambres, l’article 19 de la constitution permet au roi en tant que représentant suprême de la nation et garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat, de prendre les textes législatifs nécessaires, au moins les mesures qui ne présentent pas un caractère fondamental.
De qui émane les règlements ?
Ils émanent exclusivement du pouvoir exécutif, des autorités administratives. Il s’agit de dispositions variées et d’importance inégale :
– Au premier rang : le dahir de souverain
– A un échelon intermédiaire : les décrets du premier ministre. Ces actes sont parfois qualifiés de décrets gouvernementaux.
– A un échelon inférieur, on rencontre les arrêtés ministériel ; il s’agit de textes réglementaires pris par les membres du gouvernement.
Les dahirs :
Au terme de l’article 29 de la constitution de 96, le roi exerce par dahir les pouvoirs qui lui sont expressément réservés par la constitution. Par l’emploi du terme dahir, il s’agit de marquer la supériorité ou prééminence des décisions royales sur celles de la chambre des représentants, la supériorité du dahir sur la loi : il est le représentant suprême de ma nation ce qui signifie que les députés ne peuvent prétendre être les seuls représentants de la nation. L’institution monarchique est hiérarchiquement supérieur au parlement.Par conséquent les décisions royales (dahirs), ont juridiquement plus de valeur que les lois votées par le parlement.
Les décrets gouvernementaux et les arrêts ministériels :
Aujourd’hui le premier ministre exerce le pouvoir réglementaire sous forme de décrets qu’on appelle aussi décrets gouvernementaux.
Quand aux arrêtés, ils sont réservés aux décisions administratives prises par les ministres et rarement par le premier ministre. En effet l’article 64 de la constitution de 1996 affirme expressément que le premier ministre peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres. Les arrêtes se limitent souvent à assurer l’exécution des règles générales posées par le chef de l’Etat et le premier ministre. Ils ne constituent pas directement des sources de droit.
2 – Le domaine législatif et réglementaire :
Il s’agit de déterminer les matières qui sont de la compétence du pouvoir exécutif et celles qui relèvent de la compétence du pouvoir exécutif.
a – Le domaine de la loi :
Cette énumération fournie par l’article 46 et accessoirement par d’autres articles de l’actuelle constitution, se regroupe autour des axes suivants :
Droits politiques, économiques et sociaux des citoyens
Il s’agit en premier lieu selon l’article 46 précité de tous les droits individuels ou collectifs énumérés au titre premier de la constitution. La constitution réserve à la compétence exclusive du parlement un certain nombre de droits et ce pour mettre les droits individuels et garanties accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publiques à l’abri de l’arbitraire éventuel du pouvoir exécutif.
C’est le cas de tous les droits politiques du citoyen (liberté d’expression, de circuler, liberté d’association, de réunion).
C’est le cas aussi de tous les droits économiques et sociaux du citoyen (droit à l’éducation, au travail, à la grève, et droit de propriété).
En deuxième lieu, c’est la loi qui régit la situation du citoyen ayant la qualité de fonctionnaire (statut général de la fonction publique et statut des magistrats). La loi détermine aussi les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires.
En troisième lieu, le domaine législatif englobe des questions qui présentent un grand intérêt pour les citoyens au niveau des entités territoriales décentralisées (régime électoral des assemblées et conseils des collectivités locales ainsi que la création de collectivités locales nouvelles).
Matières pénales, civiles et commerciales
Les articles 45 et 46 de l’actuelle constitution fixent comme suit la compétence législative :
– Détermination des infractions et peines qui leur sont applicables.
– La procédure pénale.
– Procédure civile.
– Le régime des obligations civiles et commerciales.
Cette liste réalise un élargissement appréciable des attributions du parlement et cette orientation se justifie par l’importance des matières de droit pénal et de procédure pénales vis-à-vis des intérêts de la personne poursuivie, de sa liberté, de son honneur ou même de sa vie.
C’est pourquoi la constitution marocaine réserve au parlement la détermination de toutes les infractions. Elle a aussi rangé parmi les matières législatives, la procédure civile car il s’agit de protéger les droits et biens de l’individu dans le cadre du procès civil.
Matières d’ordre économique, financier ou social :
Ce troisième groupe de matières législatives comprend :
– La création d’établissements publics (art 46).
– Nationalisation d’entreprises et transferts d’entreprises du secteur public au privé (art 46).
– Les lois cadres (art 46).
– Lois de finances (art 50).
– L’approbation du projet de plan (art 50).
– Le vote de la loi de finance qui est l’une des principales attributions du parlement.
La présentation de la loi de finance est l’occasion d’un large débat sur la politique poursuivie par le gouvernement dans les secteurs de la vie économique. Ainsi conformément à l’article 51 de la constitution, les propositions et amendements des députés ne doivent pas conduire à une diminution des recettes ou à une aggravation des charges publiques.
Les traités :
L’article 31 après avoir posé le principe général que c’est le souverain qui signe et ratifie les traités, précise que les traités engageant les finances de l’Etat ne peuvent être ratifiés sans avoir été préalablement approuvés par la loi. Le parlement ayant la maîtrise des matières budgétaires et financières, il est naturel qu’il exerce un contrôle sur les traités et les conventions internationales qui peuvent avoir des incidences financières : obligations qui entraînent une charge effective ou une charge future ou bien réduction des ressources de l’Etat.
Lois organiques :
Soumises par l’article 58 à une procédure spécifique et surtout au contrôle obligatoire du conseil constitutionnel. L’intervention de ce dernier se justifie par le fait que c’est la constitution elle-même qui décide que certaines de ses dispositions seront précisées ou complétées par des lois organiques.
Révision de la constitution :
L’initiative de la révision appartient à la fois au roi, à la chambre des représentants et aussi depuis 1996 à la chambre des conseillers (art 103).
b – Le domaine du règlement :
Au terme de l’article 29 de la constitution de 1996, le roi exerce par dahir les pouvoirs qui lui sont expressément réservés par la constitution. La compétence royale présente donc un caractère exceptionnel. A l’opposé, c’est le premier ministre qui exerce en vertu de l’article 63 le pouvoir réglementaire. Il a désormais une compétence de droit commun.
c – Sanctions du partage des compétences :
La distinction d’un domaine réservé au parlement et d’un domaine réservé au gouvernement risque d’entraîner des conflits entre les deux pouvoirs. Les membres de la chambre des représentants et de la chambre des conseillers peuvent déposer des propositions de loi ou des amendements qui empiètent sur le domaine réglementaire. De leur côté, les projets gouvernementaux sont susceptibles de porter atteinte au domaine législatif. Seulement les constitutions marocaines successives, n’ont envisagées que la première hypothèse en prévoyant une technique procédurale permettant de défendre le domaine réglementaire contre les empiétements du pouvoir législatif. L’article 53 permet au gouvernement d’opposer l’irrecevabilité à toute proposition ou amendement qui n’est pas du domaine de la loi. Une fois cette exception soulevée, la discussion du texte doit être normalement suspendue. Mais si la chambre des représentants ou des conseillers maintient sa position estimant que la matière est bien une matière législative, le différend est tranché par le conseil constitutionnel dans un délai de 8 jours à la demande du parlement ou du gouvernement. Cette procédure permet au gouvernement de contrecarrer tout débordement sur son domaine réglementaire.
3 – L’autorité de la loi et du règlement :
Il s’agit de savoir dans quelle mesure la loi et le règlement s’impose aux particuliers et aux tribunaux. Il faut à cet égard distinguer les deux catégories de texte :
– En ce qui concerne les lois, il s’agit de vérifier si elles sont conformes ou non à la constitution. C’est le problème du contrôle de constitutionnalité des lois.
– Pour ce qui est des règlements, il est nécessaire de vérifier s’ils sont ou non, conformes à la loi. C’est le problème du contrôle de la légalité des règlements.
a – Le contrôle de la constitutionnalité des lois :
Il faut vérifier si les lois sont conformes ou non à la constitution et quel est l’organisme habilité à effectuer ce contrôle.
Les tribunaux ordinaires ne sont pas habilités à se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi ou d’un décret (article 25 alinéa 2 du code de procédure civile du 28 septembre 1974). En effet le rôle des tribunaux ordinaires se limite à interpréter la volonté du législateur et non vérifier si le parlement a ou non respecté la constitution. De plus compte tenu de ses incidences, le contrôle de la constitutionnalité des lois, ne peut être exercé que par une juridiction suprême ou cour constitutionnelle habilité à annuler la loi inconstitutionnelle. Au Maroc, ce contrôle de la constitutionnalité est conçu de façon très restrictive. C’est ce qui résulte de l’examen des dispositions du dahir du 9 mai 1977 portant loi organique relative à la chambre constitutionnelle de la cour suprême. Précisons que deux séries d’attribution, ne mettent pas en cause la constitutionnalité de la loi.
– C’est le cas du contentieux de l’élection des représentants de la nation : électeurs et candidats sont recevables à contester une élection.
– Le contrôle de la régularité des opérations du referendum.
b – Elargissement des attributions de la juridiction constitutionnelle dans le cadre des révisions constitutionnelles de 1992 à 1996 :
La juridiction constitutionnelle est l’instrument par lequel l’Etat de droit assure la conformité des lois, expression à la constitution. Le contrôle de la constitutionnalité des lois garanti le respect des principes, droits et libertés consacrés par la constitution, fondement du mandat donné par les citoyens à leurs représentants au parlement, en vue d’édicter des règles juridiques, pénales, civiles.
La révision constitutionnelle de 92 a donc triplement innové sur 3 points :
1er point : L’article 78 de l’actuelle constitution dispose qu’il est institué un conseil constitutionnel. L’article 79 précise que ce conseil comprends 6 membres désignés pour 9 ans et 6 membres désignés pour la même durée, moitié par le président de la chambre des représentants moitié par le président de la chambre des conseillers après consultation des groupes ; chaque catégorie de membres est renouvelable par tiers tous les 3 ans. Le président du conseil constitutionnel est choisi par le roi parmi les membres qu’il nomme et son mandat ainsi que celui des membres du conseil constitutionnel n’est pas renouvelable.
2e point : Attributions du conseil constitutionnel : Exerce les attributions qui lui sont dévolues par la constitution ou par des dispositions de lois organiques. Statue sur la régulation de l’élection des membres des deux chambres constituant le parlement et sur la régularité des opérations du referendum. Approuve les lois organiques et règlements établis par les deux chambres. Les lois ordinaires sont soumis à son contrôle tant qu’elles n’ont pas étés promulguées par le roi car l’acte de promulgation purge les loi de tout vice et exclu tout contrôle constitutionnel.
La loi organique permet aux présidents des deux chambres et au premier ministre (acteur privilégié du processus législatif) le droit de présenter au conseil, des observations au sujet de la question dont est saisi le conseil. Le renvoi d’une loi au conseil constitutionnel a comme conséquence de suspendre immédiatement le délai de 30 jours imparti à l’opération de promulgation. Enfin les décisions du conseil sont définitives, inattaquables, et opposables aux pouvoirs publics.
3e point : Jurisprudence du conseil : A rendu pléthore de décisions relatives au contentieux électoral ou contrôle de lois organiques. Il en ressort un contrôle s’exerçant sur les textes législatifs au stade de leur élaboration.
c – Le contrôle de la légalité des règlements :
Les tribunaux peuvent ils vérifier la conformité d’un texte réglementaire à la loi ? Au Maroc, il existe pour ce faire, le recours pour excès de pouvoir (procédé direct de contrôle de la légalité : dans les deux mois qui suivent la publication d’un règlement, un particulier peut le soumettre à la juridiction administrative et demander son annulation pour illégalité : si le tribunal lui donne raison, le texte sera annulé).
Dans cette perspective, est il concevable de soumettre les dahirs (émanent du pouvoir réglementaire du roi) au contrôle juridictionnel ? Ou faut il exclure tout contrôle juridictionnel sur les décisions royales, le roi n’étant pas une simple autorité administrative ? La jurisprudence de la CS est constante : il n’existe aucune disposition constitutionnelle qualifiant le roi d’autorité administrative et par conséquent, comme il n’est pas une autorité administrative, ses décisions ne sauraient faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Cela se justifie par la notion traditionnelle d’autorité royale à la fois temporelle et spirituelle, incompatible avec celle d’autorité administrative pouvant agir arbitrairement. Toutefois il est possible d’adresser au roi un recours gracieux pour qu’il révise lui-même les dahirs.
B – La confusion de la loi et du règlement en période exceptionnelle :
1 – Motifs et effets de la proclamation de l’Etat d’exception :
Il s’agit d’un danger, d’un péril d’ordre intérieur (évènements graves pouvant remettre en cause le fonctionnement des institutions constitutionnelles) ou extérieur (intégrité territoriale nationale menacée). Au niveau des révisions constitutionnelles de 92 et 96, l’article 35 réaménagé dispose que « l’état d’exception n’entraîne plus dissolution de la chambre des représentants ».
2 – Les incidences des pouvoirs exceptionnels sur l’existence de la constitution :
La constitution subsiste malgré l’état d’exception et l’article 35 accorde au souverain une compétence générale à la fois limitée et indéterminée, ce qui lui permet de suspendre toute règle de droit, même constitutionnelle.
3 – L’état d’exception et la distinction de la loi et du règlement :
A la faveur des nouvelles dispositions constitutionnelles, la confusion de la loi et du règlement sera avec le maintien du parlement limitée et ponctuelle.
II – Force obligatoire de la loi
A – Entrée en vigueur de la loi :
Marquée par deux formalités :
Promulgation de la loi : Ne concerne que la constitution elle-même et les lois votées par le parlement. C’est l’une des attributions du chef de l’Etat qui promulgue la loi dans les 30 jours qui suivent la transmission au gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il s’agit de constater dans un délai de rigueur fixé à 30 jours que la loi a été régulièrement votée par le parlement et ordonner l’exécution de cette loi.
Publication : Concerne les lois et les règlements. La publication s’impose car il faut mettre les particuliers en mesure de connaître les textes législatifs et réglementaires. C’est la maxime « nul n’est censée ignorer la loi ».
Au Maroc il n’existe pas de texte réglementant la publication si ce n’est des dispositions légales et une jurisprudence bien établie.
1 – Publication des textes est-elle obligatoire ?
Bien qu’existe le bulletin officiel du royaume du Maroc, aucune disposition générale, légale ou réglementaire n’a imposé la publication au BO des textes marocains. La jurisprudence de la cour suprême décide que la publication est une condition nécessaire pour qu’une loi ou règlement devienne obligatoire et soit opposable aux particuliers. C’est pourquoi la cour suprême estime que le bulletin officiel du gouvernement constitue la seule garantie pour porter à la connaissance de tous, les textes législatifs. Il est de plus impossible pour les tribunaux d’appliquer les textes dont ils n’ont pas pris connaissance au préalable à travers la publication au BO.
2 – Modalités de la publication :
a – Procédé normal de publication :
L’insertion des textes au bulletin peut soulever 3 séries de difficultés :
Problème de délais : Les textes publiés entrent en vigueur le même jour dans l’ensemble du royaume. En principe, une loi ou un règlement est exécutoire dés sa publication au bulletin officiel.
Problème des erreurs commises au BO : C’est le problème de savoir s’il faut donner la préférence au texte originairement publiée ou bien à celui qui à été rectifié ?
Les rectificatifs sont dangereux car ils ont un effet rétroactif : la rectification s’impose aux particuliers et tribunaux, le jour où le texte originaire a été publié.
Publication des textes en plusieurs langues : Le bulletin officiel comprend trois éditions en langue arabe et une édition de traduction officielle ce qui peut entraîner des divergences entre les deux catégories de texte. Seul le texte arabe prévaudra et s’imposera aux tribunaux (la langue officielle étant l’arabe : préambule de la constitution).
Par contre si la loi ou règlement est publié d’abord en français et que le texte arabe ne voit le jour qu’au bout d’un certain temps, il faut déterminer la date d’entrée en vigueur de la loi. C’est le premier texte publié qui détermine la date d’entrée en vigueur de la loi ou du règlement conformément au principe selon lequel les lois ont un effet immédiat.
b – Procédé exceptionnel de publication :
– Depuis longtemps les tribunaux marocains ont décidé qu’une loi ou règlement peut être exécutoire dans l’ensemble du royaume sans avoir fait l’objet d’une publication au bulletin officiel. Il suffit que le texte ait été porté à la connaissance du public par un procédé quelconque : insertion dans la presse, annonce par radiodiffusion, déclaration ou ordre du roi qui a valeur et force de loi. Toutefois, pour avoir force contraignante, il est préférable que ces principes soient énoncés par un texte ou réglementaire.
– La mise en vigueur d’une loi peut être retardée jusqu’à une certaine date.
B – Abrogation de la loi :
Article 474 du DOC « les lois ne sont abrogées que par des lois postérieures lorsque celles-ci l’expriment formellement ou quand la nouvelle loi est incompatible avec la loi antérieure ».
1 – Abrogation expresse :
Suppose que le texte nouveau en des termes formels, décide que telles dispositions antérieures sont abrogées. L’abrogation peut être globale ou partielle.
– L’abrogation partielle qui est la plus fréquente, laisse subsister une partie de la législation antérieure (cas de la loi du 25 décembre 1980 qui a reformé en partie la législation sur les loyers).
– L’abrogation globale présente un caractère exceptionnel et intervient à l’occasion de grandes reformes ou à la suite d’un grand mouvement de codification (dahir du 26 novembre 1962 qui a institué le code pénal qui nous régit actuellement).
2 – Abrogation tacite :
C’est l’hypothèse ou une loi nouvelle prévoit des règles incompatibles avec celles qui figuraient dans un texte antérieur. Il est donc pas possible d’appliquer au même moment deux textes contradictoires. On en déduit que la loi récente a implicitement abrogé la loi ancienne.
3 – Abrogation par désuétude :
Une loi qui a cessé de s’appliquer ou qui n’est plus respectée par les particuliers est-elle pour autant abrogée ? Cela revient à se demander si une loi peut être mise en échec par une coutume ou un usage contraire ? Le droit marocain interdit le recours à ce procédé car la loi prime sur la coutume et celle-ci ne peut constituer une base solide pour assurer la sécurité des transactions. L’article 475 est clair « la coutume et l’usage ne sauraient prévaloir contre la loi lorsqu’elle est formelle.» Ce qui veut dire que les lois impératives restent en vigueur même si elles ont cessé de s’appliquer depuis un certain temps.
III – Application de la loi dans le temps :
A – Principe de la rétroactivité des lois nouvelles :
Le principe de non rétroactivité se justifie par des considérations de sécurité et de justice. Quand deux personnes, décident d’établir une convention, elles tiennent compte de la loi en vigueur en ce moment précis. Si par suite intervient une reforme législative qui s’applique à cette transaction, cela reviendrait à bouleverser les prévisions de la règle de droit : assurer et stabilité et sécurité des rapports sociaux. Ce principe de non rétroactivité des lois est un principe constitutionnel qui sauf dans de rares hypothèses semble s’imposer de façon absolue.
1 – La non rétroactivité conçue comme règle relative :
– Caractères du principe de la non rétroactivité : Jusqu’à l’entrée en vigueur de la constitution de 1962, de nombreux dahirs ont produits des effets dans le passé (dahir du 29 octobre 1959 relatif à l’affaire des huiles nocives). – Exceptions au principe : Après l’avènement de la première constitution, le droit marocain écartait le principe de non rétroactivité. Ces exceptions étaient fréquentes surtout en matière pénale. Par exemple, la règle de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce, est formulée par l’article 6 du code pénal : « lorsque plusieurs lois ont été en vigueur entre le moment où l’infraction a été commise et le jugement définitif, la loi dont les dispositions sont les moins rigoureuses, doit recevoir application ».
De même il en va dans l’hypothèse inverse, celle où une loi pénale plus rigoureuse est déclarée d’application rétroactive : c’est ce qui a été décidé à l’occasion du procès des huiles nocives. C’est pourquoi le roi Mohamed V a édicté un dahir rétroactif érigeant les falsifications de denrées alimentaires en crime contre la santé de la nation, crime passible de la peine de mort. Ce dahir a été déclaré applicable même aux infractions commises avant son entrée en vigueur.
2 – La non rétroactivité conçue comme une règle absolue :
L’article 4 de l’actuelle constitution prévoit expressément que la loi ne peut avoir d’effet rétroactif. Ce principe s’impose à tous les organes de l’Etat. Il a donc un caractère absolu, en sens qu’il doit être respecté par les 3 organes de l’Etat. Toutefois, il semble permis d’écarter ce principe chaque fois que des considérations de justice, de sécurité ou d’ordre social ne sont pas susceptibles d’être compromises (c’est le cas des lois qui abrogent rétroactivement ou qui annulent les textes antérieurs pris par une autorité illégitime).
B – Le principe de l’effet immédiat des lois nouvelles :
Il s’agit d’envisager les situations en cous de constitution ou d’exécution. C’est le cas d’une vente à tempérament. Si la loi régissant les paiements échelonnés dans le temps vient à changer, faut il maintenir la loi ancienne ou appliquer immédiatement la loi nouvelle ? Au Maroc comme en France, il n’existe aucun texte d’ensemble donnant une réponse à ce problème.
1 – Signification du principe :
La loi nouvelle est destinée à s’appliquer immédiatement en se substituant à la loi ancienne qui n’a plus de raison d’être. La loi nouvelle s’applique aux situations qui se créent après son entrée en vigueur et elle s’applique aussi aux effets futurs des situations anciennes. De façon générale, deux argument justifient ce principe :
– La loi nouvelle est présumée meilleure que la loi ancienne.
– Il faut assurer l’unité de la législation en évitant de faire coexister deux lois (nouvelle et ancienne).
2 – Dérogations au principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle :
L’effet immédiat de la loi nouvelle peut être écarté par une disposition formelle, le législateur estimant souhaitable de retarder l’application du nouveau texte. Une autre exception concerne la matière des contrats. Une loi nouvelle ne doit pas produire effet à l’égard des contrats en cours et bouleverser les prévisions légitimes des parties.
IV – L’interprétation de la loi
La loi est rédigée en termes généraux mais doit être appliquée à des cas particuliers : pour savoir si telle situation entre dans les prévisions de la loi, il faut l’interpréter.
A – Protagonistes de l’interprétation :
Cette tache est dévolue aux tribunaux car les solutions jurisprudentielles et les options doctrinales, jouent en la matière un rôle essentiel.
1 – La jurisprudence :
Les juridictions du royaume ont pour mission d’appliquer la loi dans les affaires qui leur sont soumises. Pour cela, elles se livrent à un travail d’analyse et d’interprétation des dispositions légales et réglementaires. Cette interprétation jurisprudentielle ne produit effet que dans le cadre d’une instance donnée et pour résoudre un litige spécifique. Ce qui signifie que le même tribunal ou les autres juridictions, dans des procès ultérieurs peuvent donner une interprétation différente. Il reste que l’interprétation dégagée par les magistrats peut finir par avoir une portée générale et c’est le cas quand les solutions jurisprudentielles se répètent constamment. Enfin, reste à préciser que la cour suprême qui se trouve au sommet de la hiérarchie judiciaire, est chargée d’assurer l’unité d’interprétation de la règle de droit.
2 – Doctrine :
Est constituée par les travaux d’ensemble des juristes qui participent à la formation, interprétation et évolution du système juridique. Le débat entre les auteurs ayant des points de vue divergents sur un même point de droit, peut orienter le législateur au stade de l’élaboration des textes et les tribunaux au niveau de l’interprétation des règles de droit. Les opinions défendues peuvent avoir une grande autorité et donc influencer l’évolution de la jurisprudence.
B – Méthodes d’interprétation de la loi :
1 – Méthode exégétique :
Les juristes du 19e siècle ont adoptés cette méthode (interprétation attachée aux textes) qui s’efforce de dégager la volonté du législateur. Ainsi s’il s’agit de l’interprétation d’un texte obscur, la recherche du texte s’opère en utilisant les travaux préparatoires (étude des discussions qui ont précédé la vote de la loi), les précédents historiques (référence utile quand le législateur s’est inspiré de la tradition) et l’analyse grammaticale et logique pour préciser le sens et portée de la loi.
2 – Méthodes modernes d’interprétation de la loi :
– L’école de la libre recherche scientifique : il faut appliquer la loi quand elle a prévu le cas considéré car la volonté du législateur doit être respecté. Mais quand il n y a plus de loi, l’interprète (le juge) devient créateur de la règle de droit en s’inspirant des données historiques, sociales, idéales : il élabore la loi par une libre recherche (parce que fondée sur les textes) scientifique (parce que fondée sur des données objectives).
– L’interprétation historique ou évolutive :
– Quand la loi est ancienne, il faut interpréter le texte de la loi en fonction des besoins de la société au moment de cette interprétation.
– Donc un même texte va acquérir un sens nouveau pour répondre aux nécessitées actuelles et à l’évolution subie par la société.
Au Maroc, les tribunaux marocains s’efforcent de fonder la solution d’un litige sur un texte quitte à l’interpréter d’une façon très extensive, pour l’adapter au contexte social du moment. Enfin les juges marocains, s’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire, font volontiers appel aux principes généraux de droit.
Laisser un commentaire